La Pomme du Limousin

Tout le monde peut aller au supermarché, on y peut rentrer
et se rendre au rayon fruits, où les produits bio
nous accueilleront dans toute leur splendeur artificielle.
Que les pommes sont belles, comme les filles modernes
parfaites, égales, conformées aux canons requis.
Mais quand je les vois, je connais l’histoire
d’après expérience personnelle, rapide un souvenir apparaît
qui m’explique pourquoi, dans cette égalité, un cauchemar
se dissimule derrière l’apparence : ce sont des produits
pas des fruits de la terre, mais choisis pour adhérer à des modèles,
celles qui ne rentrent pas dans ce conformisme sont exclues.
Il y a environ trois ans, j’étais en Dordogne, une région historique
de la France, aujourd’hui sa fierté ce sont ses vaches
et ses pommes, la pomme du Limousin,
la seule de l’hexagone avec label, la Marianne
des pommes, on pourrait l’appeler.
À l’époque, j’avais décidé de mieux connaître la Nature
trouver des emplois compatibles avec mes principes :
ayant eu l’expérience des vendanges en Corbières, que je recommande
à tous, au moins une fois dans la vie, je me suis dit:
pourquoi ne pas cueillir la pomme? Erreur! l’Industrie,
de naturel, il ne restait plus rien : les arbres
n’étaient plus des arbres, mais les rangées d’un entrepôt
où couraient vite les “chariots” et les esclaves modernes,
travailleurs importés, retraités sous-payés, portugais
tous étaient utiles que pour une saison. J’étais le seul
Italien, pour les autres l’autochtone de ce pays.
Le salaire était en fonction de combien on recueillait, au moins
trois tonnes étaient nécessaires pour le salaire journalier ;
dans des grandes caisses en bois à la fin du parcours linéaire,
on y devait déverser notre récolte, étouffée
dans de lourds paniers en métal qu’on avait noués autour de notre cou.
Mais attention, ce n’était pas si simple que ça : vigilant un contrôleur allemand
il s’arrêtait de temps en temps pour inciter les travailleurs
mais surtout pour vérifier que dans la caisse
tous était conformes aux normes, parfaits à l’extérieur
sans aucune signe, marque ou blessure apparente,
sinon aucune compensation pour cette journée.
Mais comment se pouvait-il imaginer que n’y aurait-pas eu, entre toutes,
quelques pommes dans le groupe qui n’était blessées
ainsi jetées dans cette masse par des mains fatiguées
d’une journée de travail comme celle-ci, sous une pluie perpétuelle.
Et en fait c’était le cas pour tous, au moins un deux fois par semaine,
ce cri de condamnation a résonné : Mâchure ! fait que conduisait à l’exclusion
des autres, pour être transportées à l’usine, leur vite être
jetés tels que déchets, pour une marque sur la peau qui les différenciait.
Ainsi, même s’ils étaient trois à la fin de la journée, on était récompensés pour deux
mais la responsabilité tombait sur l’individu, qui avait mal fait son devoir :
combien de pommes j’ai vu pourrir dans un fossé pour cette raison…
C’est pourquoi aujourd’hui je sais, quand je les vois là toutes alignées, resplendissantes
dans leur homologation, que la seule à désirer est celle qui est différente
la résistante, qui à travers une interminable souffrance, qui sait comment,
elle est arrivée à ce comptoir.

*Mailhac 09 2020
*Image: Picasso